mardi 24 novembre 2015

Emily St. John Mandel : "Last Night in Montreal"

***** (Unbridled Books, 2009, 247 p.). Traduit en français sous le titre : "Dernière nuit à Montréal"

Un livre que j’ai en partie aimé, et qui m’a en partie laissée sur ma faim.
L’auteur, Emily St. John Mandel est canadienne anglophone, de la province de Colombie-Britannique, et c’est son 1er roman. 
Coup de chapeau pour son style d’écriture, fluide, réaliste et poétique à la fois.

L’histoire commence par l’enlèvement au Québec d’une petite fille de 7 ans, Lilia, par son père américain. Démarre alors un road trip de plus de dix ans à travers tous les Etats-Unis, d’un motel à l’autre, d’une ville ou d’une bourgade à l’autre, d’un camping à l’autre, d’un « diner » à l’autre… Une carte routière élimée dépliée sur les genoux.
Lilia et son père sont deux êtres en cavale, privés de la perspective d’un point d’attache, et qui finissent par ne plus pouvoir envisager de s’arrêter pour vivre quelque part…
Sauf que le père, un jour, dit « stop » et s’installe au Nouveau-Mexique, avec une nouvelle compagne, Clara. Quant à Lilia, elle poursuit sa route, car partir c’est la seule chose qu’elle sache faire,  c’est son modus vivendi, ce qu’elle a toujours connu. Elle n’a que seize ans, et toujours « on the road », vivotant de petits boulots ici et là, prenant des photos des rues, des parkings, des bâtiments : photographier est bien son seul hobby…

Trois autres personnages entrent en scène à différentes époques de cette cavale.

Tout d’abord, Christopherun détective privé anglophone de Montréal chargé par la mère québécoise de retrouver sa fille. Détective lui-même père d’une fille du même âge (Michaela), et qui peu à peu se détache totalement de la vie de sa fille pour ne servir qu’un but : retrouver Lilia. Même au bout de quelques années, il ne renonce pas et reste obnubilé par cette chasse. Le tableau de famille de ce détective n’est guère réjouissant : sa femme le trompe, le méprise et l’abandonne tout comme elle se soucie comme d’une guigne de sa fille. Lui-même s’englue dans sa quête obsessionnelle de Lilia au point d’effacer aussi sa propre fille Michaela de sa vie. La jeune Michaela se retrouve livrée à elle-même, à Montréal. C'est assez hallucinant. 
Je dois admettre que j’ai trouvé cette situation (l’indifférence puis l’abandon de Michaela par ses deux parents) trop extrême pour pouvoir y croire. C’est l’un des bémols que j’ai trouvés dans ce roman.
Alors que Lilia est une solitaire, Michaela subit la solitude sans la choisir, sa famille l'a délaissée, mise de côté. Elle survit comme elle peut, dort dans un cagibi de dancing sur un matelas d'enfant, se nourrit de pilules. Michaela est le personnage perdu de ce roman, sans aucune perspective.

Le 4e personnage, c’est Eli, un jeune homme de Brooklyn, sempiternel étudiant étouffé par sa thèse, sorte de loser se présentant lui-même comme un usurpateur, un "fake" qui ne fait rien de concret de sa vie et prétend connaître et savoir et pouvoir tout commenter... Eli fréquentait Lilia quand elle est arrivée à NY, à 22 ans. Lilia s’est installée chez lui, puis, un jour, sans crier gare, elle est partie poursuivre sa route comme elle a toujours fait. Plus tard, Eli, déboussolé, reçoit une mystérieuse lettre de Montréal, signée Michaela, lui donnant RV à Montréal s’il désire revoir Lilia…

Ce roman n’est pas vraiment un polar, pas du tout d’ailleurs à mon sens. Un roman d’atmosphère, simplement.

Je m'en viens à la fin là. A Montréal donc. Ce qui m'a fortement agacée, c'est la campagne anti-francophone/français de l'auteure, qui ose dépeindre une sorte d'isolement total d'Eli, malheureux voyageur américain qui se sent piégé par la langue française, les Québécois francophones, comme en apnée dans un monde totalement alien. Petite référence trop facile de l'auteure à la loi 101.
Et deuxième source d'agacement : la description hallucinante de Montréal en ville glacée, glaciale, inhospitalière, grise et limite moche, une enfilade de restos junk food ou Macdo ou autres du genre, les boites à striptease aux néons flashy qui sont la seule présence dans la nuit glacée. Le métro Bonaventure désincarné, l'hôtel Queen Elizabeth tel un vestige soviétique, etc. etc. Bon, ce fut un peu too much pour moi de la part d'une anglo. Non mais alors quoi, le Eli qui vient de New York, il ne se tape pas de temps en temps des blizzards et des froids glaciaires dans la Big Apple aussi ? Et s'il partait en voyage au Cambodge ou dans le Yunnan, il se sentirait peut-être pour le coup vraiment piégé par la langue ? Mince 'y a des limites...
Enfin, la façon dont le roman se termine m'a de fait laissée sur ma faim. Je ne vais pas raconter pour ne pas dévoiler.

Morceaux choisis :
Déliquescence des relations familiales dans la famille du détective :
"Once the dinner was laid out on the table, each one less dinner-like than the one before, once Michaela and her father were seated, her mother glanced expectantly from one to the other until they started eating. then she brought out the newspaper and proceeded to ignore both of them.
"Elaine", Christopher said.
"I'm sorry, am I being rude ?" She put the paper down. "How was work, darling?" She was an actress impersonating a wife. (...)
"Very productive", her father said. He no longer recognized this as the life they'd left the circus for, and he felt that there'd been some kind of a bait and switch.
"Good", her mother said, and picked up the paper again.
In the silence after that moment, Michaela tried to eat as quickly as possible, or as little as possible, or both; she wanted to leave the table as fast as she could. Her mother put the paper down.
"But no one asked me about my day!" she said. Don't you want to know what I did?"
"Please" said her father, "not in front of the kid". He didn't look at Michaela, although she stared at his face.
"Well", she said, "never mind, then. It doesn't matter what I did." (pp.151-116)
Petite ville au Nouveau-Mexique :
"Clara in the mornings: she came down the stairs in a bathrobe, yawning, the stairs creaking under her feet. In the kitchen she stood for a moment by the open back door. She lived on the edge of town, and all the backyards on her side of the street opened out into the desert, a landscape of cacti and dry grass and scrubby blue-grey sagebrush that kept going until it met the hazy outlines of the mountains far away. The collapsed wreckage of an ancient fence marked a rectangle behind the house, but the lawn had been overtaken two decades ago before by the desert." (p.190)
Clara had never traveled, and was perfectly serene. She'd lived alone for years in her small desert town and enjoyed her independence, although now her face lit up when Lilia's father entered the room."(p.191)
A Montréal :
"The cold was agonizing: he'd never imagined this quality of wind. It was possible to imagine his blood freezing under his skin, and there was ice in his eyelashes. It was eleven P.M. on a Sunday, and Rue Ste-Catherine was all but deserted. Neon signs flickered from behind the barred windows of clubs. Girls Girls Girls. Danseuses nues" (p.226)
--> Chronique "Québec"...

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