dimanche 29 novembre 2015

Les trois finalistes du prix France-Québec 2015 : Roxanne Bouchard, Biz, Julie Hêtu


Voilà, j'ai lu les trois finalistes du prix France-Québec 2015. Mes lauréats sont les suivants : 
N°1 : "Nous étions le sel de la terre" de Roxanne Bouchard
N°2 : "Mort-Terrain" de Biz
N°3 : "Mot" de Julie Hêtu

Le jury a rendu son verdict : BIZ et son "Mort-Terrain" a été désigné lauréat 2015...

Roxanne BOUCHARD : "Nous étions le sel de la terre" ***** 2014 (Ed. VLB, 353 p.)

"Quand O'Neil Poirier a vu la coque du voilier se profiler à travers le hublot de sa cabine, il s'est dit que la journée commençait vraiment mal."...
Catherine débarque à la Baie des chaleurs, en Gaspésie. Pensant retrouver sa mère biologique, après une rupture avec son compagnon. elle a comme largué les amarres. Elle prend ses habitudes à l'auberge, se prétend touriste, rencontre les habitants, plus ou moins accueillants mais plutôt plus que moins car ils sentent en elle une fille du pays.
Elle découvre la vie des marins, leur désarroi tandis que l'activité de pêche se délite. Toute leur vie pourtant. Elle sympathise avec un ancien, Cyrille.
Tout cela est remarquablement transcrit. L'intérieur des maisonnées de bois, le déjeuner à l'auberge avec le cuistot si fier de ses couteaux aiguisés et de son tablier.
Et puis, en filigrane une intrigue policière : un des pêcheurs a retrouvé dans ses filets une femme noyée. Que tout le monde a reconnu. S'en vient un inspecteur de police de Longueuil qui vient juste d'être muté là, et qui démarre sur cette affaire. Lui aussi, nous parvenons à bien le connaître grâce à la prose de Roxanne Bouchard, on s'attache à lui et à son couple qui se délite comme tout dans cette baie des Chaleurs.

Un roman sublime, gros coup de coeur, avec une écriture puissante et du cru, qui est un ravissement.

"Le ciel a craché, ce jour-là, une bruine ennuyante, glaciale, qui détrempait les os et donnait un frisson d'octobre. Je me suis enveloppée dans un fauteuil et j'ai ouvert un livre d'images de voile qui traînait. Mauvaise idée. Les blues me pendaient au bout des bras et dégoulinaient autour de moi. le soleil commençait à débarbouiller tout ça quand je me suis pointée, en fin d'après-midi, au comptoir à Renaud." (p.36)

"Il m'a détaillée des pieds à la tête et vice-versa pendant que moi, mon sac, ma robe voyante, mon collier creux dans le décolleté et mes talons, on se diluait en flaque de honte sur le tapis de la porte." (p.42)

"Au passage, il m'a jeté un regard vide d'homme dépouillé qui n'a plus d'endroit où échouer sa peine. J'ai pris ce regard et l'ai logé au fond de mes pupilles, là où il restera longtemps rangé comme l'image du désarroi. (p.69)

"J'en voulais à l'amour de m'avoir déçue, à ma mère d'être allée en voile, à mes parents d'être morts. J'en voulais à mon travail de m'ennuyer, à ma ville d'être impersonnelle, à ma vie de n'être pas à la hauteur de mes rêves." (p.241)

"Marie Garant, l'eau aurait dû la garder, lui gruger la peau et les os, l'avaler pis la sédimenter, en faire du beau corail. Hiiiii... Y veulent toujours qu'on soit le sel de la terre ! Hiiiii... Pourquoi, nous autres, on serait pas le sel de la mer ?" (p.259)


BIZ : "Mort-Terrain" ***** (2014, Ed. Leméac, 240 p.)

"Dans sa suite de l'hôtel Sheraton au centre-ville de Toronto, John Smith exulte."

Le roman, écrit par un rappeur québécois (du groupe Loco Locass), est présenté en 4e de couverture comme un "thriller d'horreur" mâtiné de fantastique : j'ai bien failli renoncer à le lire tant cela correspond à tout ce que je n'aime pas. Heureusement que j'ai passé outre : voilà une bonne lecture où j'ai de plus craqué pour la rédaction en "québécois". Le Québec vraiment comme si j'y étais, au bord du lac, au fil des saisons. Sans les mouches à boeufs.
L'histoire est bien menée et bien contée : un jeune médecin de Montréal s'en vient s'installer en Abitibi, dans le village de Mort-Terrain, à proximité de la réserve indienne de Mézézac. Ça fait deux camps : les Blancs et les Indiens. 
Adopté dès son arrivée par les "purs laines", il parvient néanmoins à se rapprocher des Indiens, et se retrouve petit à petit pris en tenailles entre les deux camps.
"La voix chaude et calme de Johnny Cash filtrait de la cabine. Sylvain m'a donné un coup de coude  en hurlant dans le vent. - On est-tu ben, doc ! Ostie qu'on est ben ! T'essaieras ça, de te promener en divan avec de la bière à Montréal ! pis on peut pas se faire arrêter par la police. Est ici la police !" (p.43)
Un projet d'exploitation minière va diviser les villageois et briser une solidarité qui souvent n'était qu'apparente (ceux qui veulent de l'emploi, ceux qui redoutent les conséquences de la mine et l'expropriation) et les deux camps : les Indiens algonquins veulent faire valoir la propriété ancestrale sur ces terres tandis que la majorité des Blancs ne jurent que par le développement économique promis par la Wendigo Mining Company.
L'élément fantastique m'est passé complètement au-dessus. Ouf car ce n'est pas mon fort.

La peinture de la vie dans les régions loin des grandes agglomérations paraît juste et réaliste. L'accent est aussi mis sur la misère dans les réserves où sévissent l'alcoolisme, le chômage, le manque de perspectives. Biz fait aussi référence aux placements au début du siècle des enfants amérindiens chez les pères blancs où on les forçait à oublier langue et culture et où ils étaient violentés.
"Il fallait absolument que je retrouve mon char. Le soleil cuisait la rue Principale déserte. Ne manquait que la boule de brindilles roulante du Far West." (p.20)
Ce qui m'a perturbée : la rupture dans le rythme du roman, où tout s'accélère trop trop vite dans le dernier quart alors que les trois premiers quarts suivent leur rythme tranquille. Du coup, la fin m'a parue fouillis et précipitée. Dommage, sinon j'aurais mis 5 étoiles...


Julie HÊTU : "Mot" ***** 2014 (Ed. Triptyque, 204 p.)
Réf. géogr : Québec (auteur) / Liban / Espagne (Majorque)

" Dhour Choueir, Liban, 1966. Maman est toute petite. Je lui ressemble. Elle s'appelle Anat."...

Un court roman, bien écrit, mais jalonné de morts et de tragédies, du Liban jusqu'en Espagne.
Je n'ai pas réussi à m'attacher à la famille Baal, peut-être parce que les événements allaient trop vite.
"Mot", le titre du roman, fait référence à un petit garçon que l'on a peine le temps de voir grandir, et qui de toutes façons n'est pas le personnage principal avant la quasi-fin du roman. Ce sont les femmes de la famille qui occupent le terrain.
La mère Cybèle répond à l'appel de la guérilla au Liban et laisse la famille en plan. La petite dernière se découvre une passion pour la tauromachie dès son plus jeune âge. Elle en mourra à peine adolescente. Cela signera la descente aux enfers de son frère Mot qui massacre leur père de 300 coups de carabine, va en prison, correspond avec sa mère qui a connu aussi la prison mais au Liban. A la fin, la mère rejoint son fils en Espagne à sa sortie de prison, pour mourir dans l'arène... des mains de ce fils devenu fou.

Spéciale comme histoire.
D'aucuns apprécient les références à la mythologie. Je dois reconnaître que n'étant pas du tout portée sur la tauromachie, le sujet qui est traité de façon approfondie m'a assez intéressée, l'auteure ayant pris également soin de développer la progression du courant anticorrida. Et chapeau à l'auteure Julie Hêtu pour sa connaissance de l'Espagne.
La fin du roman laisse tout de même un goût amer. Je ne le recommanderais pas.
"J'ai cueilli quelques cerises pour les manger et j'ai mis les noyaux dans ma poche, j'étais incapable de les jeter. Tout ce qui possédait même la plus infime parcelle de poésie, était devenu trop précieux pour que je puisse m'en défaire."
«Tu sais ce que c’est le duende, mon amour, c’est avec lui que je lutte en ce moment, c’est avec lui que toujours on lutte, mon ange. C’est une lutte terrible, qui brûle le sang comme une pommade d’éclats de verre, dirait Lorca, et qui s’appuie sur la douleur humaine qui n’a pas de consolation.» 
--> chronique "Québec"

mardi 24 novembre 2015

Novembre au jardin

Echinacée purpurea - sauge jaune
Solidago verge d'or fanée - plumbago bleu
geranium Rozenna - chaton
Un bien triste mois de novembre 2015 compte tenu de l'actualité.

Pour décrocher un peu des chaînes en continu et du stress, courte virée au jardin où l'hiver a commencé à s'installer depuis hier, avec des températures en chute, près de 0° le matin et 5 ou 6° l'après-midi. Il a fallu rentrer des potées.

Mais, ô surprise, ce dimanche qui devait être aussi gris que l'ambiance actuelle... nous avons eu du soleil et de la froidure tout-à-fait supportable.

Certaines plantes portent encore des fleurs, aucune n'a encore subi un coup de gelée.

Contempler chaque jour mes deux magnifiques fleurs d'échinacée purpurea, plantées en septembre dernier, me procure un grand bonheur, même si avec le temps elles commencent à faner. Je suis stupéfaite de leur beauté et de leur charisme.
Ce sont de petites choses comme ça qui me réchauffent le coeur en ces temps bousculés.

Les sauges ont profité aussi du redoux pour relancer une floraison assez spectaculaire. J'ai même vu un oeillet en fleur (une seule fleur, mais courageuse pour un 22 novembre).

Le bergera m'a aussi offert une grappe de fleurs roses, mais lui est coutumier de cette période de l'année.

En ce mois de novembre jusque-là exceptionnellement doux, il nous a été donné de croiser encore quelques abeilles ici et là.
Ci-dessous, dame abeille mellifère s'intéresse aux fleurs de mon jasmin d'hiver.
On la voit à l'approche, puis s'enfoncer jusqu'au cou dans le coeur de la fleur.


En attendant le grand froid, j'ai bien profité de ce répit dominical.

--> Chronique "jardin" et "insectes"...

Emily St. John Mandel : "Last Night in Montreal"

***** (Unbridled Books, 2009, 247 p.). Traduit en français sous le titre : "Dernière nuit à Montréal"

Un livre que j’ai en partie aimé, et qui m’a en partie laissée sur ma faim.
L’auteur, Emily St. John Mandel est canadienne anglophone, de la province de Colombie-Britannique, et c’est son 1er roman. 
Coup de chapeau pour son style d’écriture, fluide, réaliste et poétique à la fois.

L’histoire commence par l’enlèvement au Québec d’une petite fille de 7 ans, Lilia, par son père américain. Démarre alors un road trip de plus de dix ans à travers tous les Etats-Unis, d’un motel à l’autre, d’une ville ou d’une bourgade à l’autre, d’un camping à l’autre, d’un « diner » à l’autre… Une carte routière élimée dépliée sur les genoux.
Lilia et son père sont deux êtres en cavale, privés de la perspective d’un point d’attache, et qui finissent par ne plus pouvoir envisager de s’arrêter pour vivre quelque part…
Sauf que le père, un jour, dit « stop » et s’installe au Nouveau-Mexique, avec une nouvelle compagne, Clara. Quant à Lilia, elle poursuit sa route, car partir c’est la seule chose qu’elle sache faire,  c’est son modus vivendi, ce qu’elle a toujours connu. Elle n’a que seize ans, et toujours « on the road », vivotant de petits boulots ici et là, prenant des photos des rues, des parkings, des bâtiments : photographier est bien son seul hobby…

Trois autres personnages entrent en scène à différentes époques de cette cavale.

Tout d’abord, Christopherun détective privé anglophone de Montréal chargé par la mère québécoise de retrouver sa fille. Détective lui-même père d’une fille du même âge (Michaela), et qui peu à peu se détache totalement de la vie de sa fille pour ne servir qu’un but : retrouver Lilia. Même au bout de quelques années, il ne renonce pas et reste obnubilé par cette chasse. Le tableau de famille de ce détective n’est guère réjouissant : sa femme le trompe, le méprise et l’abandonne tout comme elle se soucie comme d’une guigne de sa fille. Lui-même s’englue dans sa quête obsessionnelle de Lilia au point d’effacer aussi sa propre fille Michaela de sa vie. La jeune Michaela se retrouve livrée à elle-même, à Montréal. C'est assez hallucinant. 
Je dois admettre que j’ai trouvé cette situation (l’indifférence puis l’abandon de Michaela par ses deux parents) trop extrême pour pouvoir y croire. C’est l’un des bémols que j’ai trouvés dans ce roman.
Alors que Lilia est une solitaire, Michaela subit la solitude sans la choisir, sa famille l'a délaissée, mise de côté. Elle survit comme elle peut, dort dans un cagibi de dancing sur un matelas d'enfant, se nourrit de pilules. Michaela est le personnage perdu de ce roman, sans aucune perspective.

Le 4e personnage, c’est Eli, un jeune homme de Brooklyn, sempiternel étudiant étouffé par sa thèse, sorte de loser se présentant lui-même comme un usurpateur, un "fake" qui ne fait rien de concret de sa vie et prétend connaître et savoir et pouvoir tout commenter... Eli fréquentait Lilia quand elle est arrivée à NY, à 22 ans. Lilia s’est installée chez lui, puis, un jour, sans crier gare, elle est partie poursuivre sa route comme elle a toujours fait. Plus tard, Eli, déboussolé, reçoit une mystérieuse lettre de Montréal, signée Michaela, lui donnant RV à Montréal s’il désire revoir Lilia…

Ce roman n’est pas vraiment un polar, pas du tout d’ailleurs à mon sens. Un roman d’atmosphère, simplement.

Je m'en viens à la fin là. A Montréal donc. Ce qui m'a fortement agacée, c'est la campagne anti-francophone/français de l'auteure, qui ose dépeindre une sorte d'isolement total d'Eli, malheureux voyageur américain qui se sent piégé par la langue française, les Québécois francophones, comme en apnée dans un monde totalement alien. Petite référence trop facile de l'auteure à la loi 101.
Et deuxième source d'agacement : la description hallucinante de Montréal en ville glacée, glaciale, inhospitalière, grise et limite moche, une enfilade de restos junk food ou Macdo ou autres du genre, les boites à striptease aux néons flashy qui sont la seule présence dans la nuit glacée. Le métro Bonaventure désincarné, l'hôtel Queen Elizabeth tel un vestige soviétique, etc. etc. Bon, ce fut un peu too much pour moi de la part d'une anglo. Non mais alors quoi, le Eli qui vient de New York, il ne se tape pas de temps en temps des blizzards et des froids glaciaires dans la Big Apple aussi ? Et s'il partait en voyage au Cambodge ou dans le Yunnan, il se sentirait peut-être pour le coup vraiment piégé par la langue ? Mince 'y a des limites...
Enfin, la façon dont le roman se termine m'a de fait laissée sur ma faim. Je ne vais pas raconter pour ne pas dévoiler.

Morceaux choisis :
Déliquescence des relations familiales dans la famille du détective :
"Once the dinner was laid out on the table, each one less dinner-like than the one before, once Michaela and her father were seated, her mother glanced expectantly from one to the other until they started eating. then she brought out the newspaper and proceeded to ignore both of them.
"Elaine", Christopher said.
"I'm sorry, am I being rude ?" She put the paper down. "How was work, darling?" She was an actress impersonating a wife. (...)
"Very productive", her father said. He no longer recognized this as the life they'd left the circus for, and he felt that there'd been some kind of a bait and switch.
"Good", her mother said, and picked up the paper again.
In the silence after that moment, Michaela tried to eat as quickly as possible, or as little as possible, or both; she wanted to leave the table as fast as she could. Her mother put the paper down.
"But no one asked me about my day!" she said. Don't you want to know what I did?"
"Please" said her father, "not in front of the kid". He didn't look at Michaela, although she stared at his face.
"Well", she said, "never mind, then. It doesn't matter what I did." (pp.151-116)
Petite ville au Nouveau-Mexique :
"Clara in the mornings: she came down the stairs in a bathrobe, yawning, the stairs creaking under her feet. In the kitchen she stood for a moment by the open back door. She lived on the edge of town, and all the backyards on her side of the street opened out into the desert, a landscape of cacti and dry grass and scrubby blue-grey sagebrush that kept going until it met the hazy outlines of the mountains far away. The collapsed wreckage of an ancient fence marked a rectangle behind the house, but the lawn had been overtaken two decades ago before by the desert." (p.190)
Clara had never traveled, and was perfectly serene. She'd lived alone for years in her small desert town and enjoyed her independence, although now her face lit up when Lilia's father entered the room."(p.191)
A Montréal :
"The cold was agonizing: he'd never imagined this quality of wind. It was possible to imagine his blood freezing under his skin, and there was ice in his eyelashes. It was eleven P.M. on a Sunday, and Rue Ste-Catherine was all but deserted. Neon signs flickered from behind the barred windows of clubs. Girls Girls Girls. Danseuses nues" (p.226)
--> Chronique "Québec"...

dimanche 22 novembre 2015

Jo Nesbo : "Le fils"

***** 2015 pour l'édition Gallimard / Série noire,
Tout est dans le titre, mais passe par un long cheminement d'un fils vers le souvenir de son père.
Le roman fait découvrir au lecteur un vision assez glaçante d'Oslo, entre traite de femmes asiatiques, trafic de drogue, policiers et politiques corrompus, squats, SDF, criminalité...
Premières pages : on est en pleine immersion dans une prison norvégienne de haute sécurité, mais dans une scène insolite : un prisonnier "mature" se fait absoudre par un autre prisonnier, junkie hippie aux cheveux longs d'une trentaine d'années, héroïnomane condamné pour meurtre à 18 ans mais qui semble ne pouvoir faire de mal à une mouche, et qui passe pour un guérisseur mystique. 
Son nom : Sonny (le fiston) Lofthus
Sa généalogie : fils d'un policier que les ripoux ont "suicidé" avant qu'il ne parle trop, et d'une mère qui n'a pas tenu le coup et s'est laissé sombrer jusqu'à la mort. Orphelin. Complètement camé, au point d’accepter d'endosser les crimes d'autrui en échange de ses doses d’héroïne. Ce petit jeu se répétant sans cesse, il embraie sur des peines de prison sans fin.

Jusqu'au jour où un autre taulard lui confie que son père était un flic intègre qu'on a "suicidé" en le faisant passer pour une taupe dans la police d’Oslo.
Cette découverte redonne vie à Sonny qui s’évade. Dans une ville et une société qui ont tant changé depuis plus de 10 ans, il trouve refuge chez les paumés et commence son opération de nettoyage. Tout en prenant sur lui pour lutter contre le manque.

Le lecteur assiste alors à la métamorphose du junkie hippie qui, enfin, ose se remémorer ce père qu’il en était venu à haïr et se pose en vengeur, décimant les ordures qui ont émaillé sa vie ou celle de son père. On l’appelle le Bouddha à l’épée…

Deux autres personnages clés dans ce roman : un inspecteur proche de la retraite, désabusé mais toujours compétent, fou amoureux de sa femme qui est en train de perdre la vue. Et une jeune femme flic qui devient sa partenaire. Tous deux traquant ce jeune justicier solitaire qui dame le pion à la police.

Un très bon roman policier. Du Nesbo bon cru.

--> Voir aussi "L'homme chauve-souris" - "Les cafards" - "L'étoile du diable" - et mon chouchou "Le léopard"

lundi 9 novembre 2015

S. Wenger : "Jours tranquilles à Tunis"

***** Chroniques, 09/2015, Ed. Riveneuve éditions, 232 p.

L’auteur de ce petit recueil est une journaliste française correspondante à Tunis de plusieurs journaux, qui a tenu les chroniques de son séjour en Tunisie entre l’été 2012 et l’été 2015. Elle avait auparavant vécu 7 ans au Caire comme correspondante en Egypte. Elle connaît également la Syrie où elle a séjourné entre 2004 et 2007, à Alep.

Le titre ("Jours tranquilles...") ne manque pas de surprendre pour qui ne connaît pas cette collection, car de quiétude il est rarement question.

J’ai de suite été intéressée par le regard que la journaliste portait sur la société tunisienne, un regard influencé, comme elle le souligne, par ses dix années de vie et de reportages en Egypte et en Syrie. En ce qui me concerne, je n'ai qu'une vision raccourcie à trois semaines de la Tunisie, à l'occasion de vacances familiales en 2003.

La construction du livre est linéaire, suivant l’ordre chronologique et entrecoupant les chroniques ou « instantanés » du quotidien d’entrefilets de presse portant sur l’actualité du moment (procès, incidents, assassinats, campagne électorale etc.). Cette alternance de sujets légers et d'informations tragiques surprend, mais montre aussi que la vie suit son cours.

L'ourvrage (re)plonge le lecteur dans l’histoire agitée et exceptionnelle de ces dernières années. La journaliste évoque bien entendu les événements qui ont précédé son arrivée en Tunisie. La mort du marchand de légumes de Sidi Bouzid en décembre 2010, à qui l’on avait confisqué sa charrette. La fuite de Ben Ali en janvier 2011… Exactement à la même période, fin décembre 2010 début 2011, nous étions en vacances en Egypte à descendre le Nil en famille sur une petite felouque, ignorant les événements parallèles en Tunisie, mais sentant croître la tension en Egypte notamment au regard de la population copte.. 

Dans ses chroniques, Stéphanie Wenger nous fait part de ses découvertes des spécificités de ce petit pays de 10 millions d’habitants appelé à devenir « l’exception tunisienne ».
Au quotidien, elle nous fait partager la cuisine (le pain bagnat, le lableli qui fait l’objet d’une chronique savoureuse…), le dialecte et ses adaptations de mots français, la séance chez le coiffeur habitué à couper les nonnes « à l’italienne », le mauvais œil qu’une amie lui a ôté et qui la faisait bailler à n’en plus finir. Elle décrit la tristesse des cinémas d'aujourd'hui (j’ai repensé au récit de Joël Alessandra évoquant l’ancien cinéma municipal de Constantine) et nous emmène dans « l’empire de la fripe ». S’agissant du foot, S. Wenger s’arrête aussi sur le soutien de la Tunisie à l’équipe d’Algérie en lice contre l’Allemagne pendant la coupe du monde, et commente la rivalité des deux clubs de foot, l’Espérance de Tunis et le Club africain.
Ces "instantanés" aident à connaître la société tunisienne bien mieux qu'un guide touristique ne le ferait.

Tout au long de son récit, l'auteur aborde aussi les sujets politiques, commentant les assassinats d'opposants, l'emprisonnement d'un rappeur, le viol d'une jeune femme, les manifestations, la campagne électorale, la menace terroriste qui a frappé au musée du Bardo, et sur la plage de Sousse. quelques jours avant son départ de Tunisie. On y sent une Tunisie déchirée sur certains sujets et désemparée des suites de la révolution de jasmin, mais qui envers et contre tout met en place en octobre 2013 un "dialogue national" orchestré par quatre syndicats (des travailleurs, du patronat, des avocats, et la ligue des droits de l'homme) qui ont eu à coeur de relancer le processus démocratique et de parvenir à des élections libres.
Le récit du vote de la nouvelle Constitution tunisienne en janvier 2014, résultat d'un compromis historique, est passionnant.

Le 9 octobre 2015, le Prix Nobel de la paix est décerné à ce quartet du "dialogue national" tunisien. Le livre de Stéphanie Wenger, publié en septembre 2015, aide à comprendre le cheminement de la Tunisie et des Tunisiens jusqu'à ce résultat. Puisse ce printemps durer toutes saisons toutes années.

Quelques instantanés de notre voyage familial en Tunisie en 2003 (cliquez sur le diaporama) :


A titre plus anecdotique, vers la fin de son ouvrage, Stéphanie Wenger nous fait part de ses questions non résolues, alors qu'elle s'apprête à quitter la Tunisie :
« - Qui achète les coffres forts qui sont exposés au bord de la route- Pourquoi le voyant des taxis signifie « libre » quand il s’allume au rouge ?- Pourquoi les œufs s’achètent par quatre ?- Pourquoi appelle-ton métro léger ce qui n’est après tout qu’un tramway ? Qu’est-ce qu’un métro lourd ?- Qui a noué les rubans autour du cou des pigeons de la mosquée Al Fath ? Je pense que c’est le vieux mendiant en fauteuil. J’ai toujours voulu lui poser la question… » (p.221)
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