mardi 6 novembre 2012

Caryl Ferey : "Mapuche", un polar sur l'Argentine des desaparecidos


***** 2012 - Réf pays : France/Argentine/Uruguay - Genre : polar haletant et instructif
Bon, j'en suis à mon 4e polar Caryl Férey comme beaucoup, mais j'avoue que je me lance à présent à pas feutrés et tremblante depuis le cauchemar que fut pour moi son roman Zulu (paru en 2008, dans lequel il dépeint une Afrique du Sud en proie à la violence la plus inouïe), notamment la fin dont je ne suis toujours pas remise.
On peut dire que je "suis" l'écrivain Caryl Férey : cela m'embêterait de manquer un de ses romans, mais je le suis désormais avec circonspection car vraiment "Zulu" me fut insoutenable.

Son nouveau roman "argentin" Mapuche est fort bien documenté, et quiconque connaît déjà l'histoire de la dictature des généraux, des tortures, des disparus, n'en apprend pas moins sur le traumatisme vécu par ce pays.
On ne peut que sans cesse se poser la question de ces responsables ou simples exécutants qui aujourd'hui mènent une vie plus ou moins aisée ou paisible, une vie parfois perturbée par quelques souvenirs désagréables de l'autre époque... et Caryl Férey excelle à décrire ce présent et remuer le passé.
Tombe d'Eva Peron
Il distille ça et là des commentaires incisifs (j'ai retenu entre autres celui sur Eva Peron...) mais indubitablement validés par des recherches et témoignages. Y compris sur ce volet plus méconnu de l'histoire du pays : la "conquête du désert" et la pacification/aliénation des Indiens, Mapuches entre autres.

Les commentaires sur les piqueteros, les cartoneros, l'économie argentine de ces dernières années, l'affrontement avec le FMI... ont le mérite de nous replonger au coeur d'une actualité aujourd'hui un peu lointaine (ce 6 novembre 2012 : cela fait belle lurette que les actus n'ont pas fait mention de l'Argentine).
Banlieue chic d'El Tigre
Pour en revenir à l'auteur, Caryl Férey est un écrivain-journaliste (il a collaboré au Guide du routard).

Mapuche ne pouvait que m'attirer puisque je me suis plusieurs fois rendue en Argentine. Bien sûr, je suis allée à la Place de Mai, j'ai vu la tombe d'Eva Peron au cimetière de La Recoleta (mais depuis la lecture du livre, j'en reviens un peu...), j'ai pris un bateau à El Tigre et me suis totalement retrouvée dans les descriptions des bords de rivière bucoliques (mais pas les scènes d'horreur du roman !) de Caryl Férey... ah, le pisco sour aussi, j'y ai goûté mais d'abord au Chili, son pays d'origine.
Mais la coupe du monde de 1978... : là, le roman de Caryl Férey m'a ouvert les yeux, jamais fait le rapport avec cet événement sportif adulé par les foules du monde entier et le fait que CONCOMITAMMENT les exactions de la dictature militaire atteignaient quasi leur apogée alors que le pays était sous les pleins feux médiatiques et sportifs du monde entier.

El Tigre : ce pourrait être dans une de ces vieilles maisons
cossues que les sbires cachaient et torturaient leurs otages
dans le roman (et peut-être pas seulement dans le roman)

J'apprécie la plume de l'auteur, et ses indications historiques savamment distillées. Mais attention, ses romans accordent (trop?) bonne place aux scènes ultra-violentes...
Au petit bonheur la chance, voici quelques extraits :

- "En rayant 25 ans de traités signés avec l'Espagne, la constitution de 1810 avait purement et simplement nié les Mapuche, les "gens de la terre" qui vivaient ici en nomades depuis 2000 ans. (...) Les indiens Mapuche ne représentent plus aujourd'hui que 3% de la population argentine, concentrés dans les régions pauvres du sud ou noyés dans les bidonvilles des lointaines banlieues." (p81)
- "De loin, la femme de l'homme d'affaires pouvait passer pour une de ces vieilles beautés bronzées sous Lexomil combattant l'anorexie à l'American Express, de près c'était deux lèvres pincées débordées par un rouge à lèvres orange et un air vertical chargé de tenir le monde à distance." (p87)

"il ne restait que le nom d'une bière - Quilmes..."
- "(...) deux bières encore à peu fraîches (...). Des Quilmes, ce peuple de montagnards qui s'étaient laissés mourir dans les réserves de la plaine où on les avait parqués, il ne restait que le nom d'une bière - Quilmes." (p283)

Résumé de l'éditeur : "Jana est Mapuche, fille d un peuple indigène longtemps tiré à vue dans la pampa argentine. Rescapée de la crise financière de 2001-2002, aujourd'hui sculptrice, Jana vit seule à Buenos Aires et, à vingt-huit ans, estime ne plus rien devoir à personne. Rubén Calderon aussi est un rescapé, un des rares «subversifs » à être sorti vivant des geôles clandestines de l'École de Mécanique de la Marine, où ont péri son père et sa jeune soeur, durant la dictature militaire. 30 ans ont passé depuis le retour de la démocratie. Détective pour le compte des Mères de la Place de Mai, Rubén recherche toujours les enfants de disparus adoptés lors de la dictature, et leurs tortionnaires...
Rien, a priori, ne devait réunir Jana et Rubén, que tout sépare. Puis un cadavre est retrouvé dans le port de La Boca, celui d'un travesti, « Luz », qui tapinait sur les docks avec « Paula », la seule amie de la sculptrice. De son côté, Rubén enquête au sujet de la disparition d'une photographe, Maria Victoria Campallo, la fille d'un des hommes d'affaires les plus influents du pays. Malgré la politique des Droits de l'Homme appliquée depuis 10 ans, les spectres des bourreaux rôdent toujours en Argentine. Eux et l'ombre des carabiniers qui ont expulsé la communauté de Jana de leurs terres ancestrales..." Ed. Série Noire Gallimard, 2012, 456 p.

Voir aussi sur ce blog :
--> chroniques de lecture "Amérique latine"
--> la page générique "Littérature d'Amérique latine"

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...