dimanche 4 mars 2012

Jean Rolin : "Un chien mort après lui"

***** (2009)
Réf. géographiques : France, Turkmenistan, Rwanda, Moscou, Bangkok, Santiago du Chili, Egypte, Liban, Zaïre, Miami, Haïti, Mexique, Tanzanie, Australie...

Quel drôle de livre... le fil conducteur est le chien errant; et l'auteur parcourt le monde à la rencontre de meutes de chiens, que ce soit dans des grandes métropoles ou dans des zones défavorisées ou en proie à la guerre.
Au fil de ses pérégrinations, Jean Rolin apporte des explications sur le modèle du chien errant (le chien féral ou féralisé, soit un animal domestique retourné à l'état sauvage), avec commentaires d'experts sur la possible filiation entre chien et loup, des références littéraires (Flaubert en Egypte...), ou journalistiques (reporters au Sud-Liban).
Il nous emmène tout d'abord au Turkmenistan, où les enfants sur le chemin de l'école doivent prendre garde aux "nids de chiens", "sortes de volcans minuscules et garnis de créatures écumantes", très dangereuses. Le chapitre est aussi l'occasion de décrire brièvement le contexte politique (culte du Turkmenbachi). "Achgabat : peut-être la ville la plus inhospitalière du monde", où l'auteur doit retourner dans l'espoir d'y découvrir au zoo parmi les derniers spécimens des chiens hurleurs de Nouvelle-Guinée...
Nous visitons aussi des quartiers de Moscou, la gare de Kazan, où des chiens entretiennent une relation de "commensalité" avec les humains et d'autres une relation de "mutualisme". Un professeur russe expert en loups étudie au demeurant les chiens errants de Moscou (qu'il estime à 30.000) et de sa banlieue depuis 25 ans, et a pu constater que les campagnes d'éradication sont souvent suivies d'une recrudescence de la population de rats et de renards. Les chiens errants joueraient ainsi un rôle indirectement positif pour l'hygiène publique...
L'organisation de grands événements mondiaux (Jeux Olympiques, Festival par exemple) est toujours le prétexte d'une campagne d'éradication des chiens errants, comme en Grèce en 2004, à Moscou en 1980 et 1985...

A Bangkok, nous apprenons que la ville envisageait de rendre obligatoire les puces d'identification électroniques pour les chiens domestiques afin d'éradiquer plus facilement les chiens errants, estimés à 800.000.
Au Chili, l'auteur nous apprend les différents mots qualifiant un chien : "can, perro, perro vago, perro callejero, quadrupedo, quiltro". En anglais, "stray dogs", "loose or straying pets", "unowned stray dogs", "true stray or feral dogs"...

En littérature, Gustave Flaubert serait un des écrivains qui ont le plus décrit les chiens errants (Salammbô, Voyage en Egypte) : plutôt des chiens libres que divaguant, à poils jaunes, immondes, dévorant les charognes de chameaux ou de cheval en commençant par les parties molles. Flaubert cite même les chiens d'Esmens, que l'on trouverait dans un village près d'Assouan, féroces et affreux.

Le chien errant est associé au désordre, à la discorde et à la guerre (exemple de l'Iliade). Il fut même utilisé pendant la seconde guerre mondiale par les Russes comme bombe vivante, un explosif attaché au ventre, dressé pour aller se jeter sous les chars allemands... Les écrivains Malaparte et Vassili Grossman en ont témoigné.
Jean Rolin s'attarde dans plusieurs chapitres sur son séjour au Sud-Liban pendant la guerre de 2006, et c'est le regard du reporter de guerre qui transparaît. Ce reportage commence presque par une explication sur la différence entre "le chien errant rhétorique, presque toujours occupé à dévorer des cadavres", et qui est surtout mentionné "dans des récits colportés" et le chien réel qui, le plus souvent, ne fait rien de particulier, et qui apparaît dans des témoignages directs".
En Tanzanie, accompagné d'un ami photographe, l'auteur se rend jusqu'à Pemba depuis Zanzibar, l'occasion d'une description de la traversée cauchemardesque sur un bateau bondé, de la beauté du jardin du Sultan... mais chou blanc :aucun chien à l'horizon !

En Australie, nous apprenons que le dingo a été introduit dans le pays il y a 4000 ans, par des navigateurs du sud-est asiatique, et les langues aborigènes utilisent une douzaine de mots pour désigner le dingo ("warrigal, tingo, joogong, mirigung, noggum, boolomo, papa-inura, wantibirri, maliki, kal, dwer-da et kurpany"). Le Wild Dog Destruction Board est chargé de la "régulation" de cet animal désormais considéré comme "pest" (vermine). Une clôture a ainsi été érigée (the dog fence) sur 5400 km pour protéger le bétail des attaques de dingos : un grillage de 2 m de haut, au pied duquel s'amoncellent les tumble-weeds, ces "grosses pelotes de débris végétaux que le vent fait caracoler sur les sols arides". Les éleveurs ont commencé à dresser cette clôture en 1914 en s'appuyant sur une clôture anti-lapins.

Jean Rolin a certes écrit là un livre fort "érudit" sur le thème du chien errant, qui fourmille de références géographiques, historiques, et profite du regard de journaliste professionnel et grand baroudeur de l'auteur ... 
Toutefois, à la fin des premiers chapitres, j'ai trouvé que le thème était vraiment léger et, à la longue, le récit devenait rébarbatif :
- l'auteur cherche et trouve les chiens errants, - souvent à proximité des dépôts d'ordures (la décharge de Tijuana au Mexique serait un des lieux les plus intéressants), - il se fait parfois menacer ou attaquer par un spécimen... - puis s'envole pour un autre pays autour du même canevas !
Et l'enchainement de certaines "histoires" semblait confus, anecdotique (la mention de la découverte d'une oreille desséchée de chien au centre d'Athènes (!), la référence à la grande matanza de perros (tuerie de chiens) au Mexique en... 1798) : ces remarques m'ont parues gonfler un récit qui manquait de matière première ou d'événements !
Heureusement, j'ai persisté  dans ma lecture et terminé le livre finalement sans m'en rendre compte, car les pérégrinations devenaient peut-être plus intéressantes, ou le récit plus vivant, mieux construit.
Dans tous les cas, cette quête du chien errant s'accompagne de descriptions intéressantes des pays traversés et de leur contexte politique, et l'écriture de Jean Rolin est fluide, précise, agréable à lire. "Un chien mort après lui" étant le premier livre que je lisais de l'auteur (frère cadet d'Olivier...).
En conclusion : ce livre s'adresse surtout aux adeptes de l'auteur et/ou aux personnes intéresssées par le thème si particulier des chiens errants (!), ou les amateurs de récits de voyages originaux !
Eléments bio :
"Jean Rolin, écrivain voyageur, est un grand mélancolique, il décrit souvent des mondes, des sociétés et des solidarités qui disparaissent". "Journaliste, il a surtout effectué des reportages, notamment pour Libération, Le Figaro, L'Événement du Jeudi et Géo." "Né en 1949, il s'investit, alors étudiant,  tout comme son frère aîné Olivier, dans la tendance maoïste de mai 68", et fut donc "sous surveillance" un certain nombre d'années en raison de cet engagement politique. (d'après Wikipedia).
4e de couverture :
"Au début de 'Moby Dick', Ismahel, sur le point d'embarquer observe que le capitaine du Péquod porte le nom d'un roi biblique qui était 'fameusement impie', et dont le corps fut livré aux chiens. Nombreux sont les héros de la guerre de Troie qui n'échappèrent que de justesse au sort. Ainsi les rapports entre l'homme et le chien ne se bornent-ils pas à cette gentille histoire, aux circonstances controversées, de la domestication de l'un par l'autre : autant que la littérature universelle, les chiens errants sont là pour nous le prouver. Et c'est sur les traces de ces derniers que l'auteur d''Un chien mort après lui' parcourt le monde depuis les banlieues de Moscou jusqu'aux confins des déserts australiens." Edition Folio, 308 p.
  • Voyez la "dog books review" qui passe en revue la littérature de toutes contrées, où le chien est un héros ou un "personnage" important : Lectures canines
  • Et voyez la rubrique DOGGIES de ce blog pour admirer nos canailles !
  •  Un peu plus sur l'Asie centrale et le Turkménistan : Lectures d'Asie centrale
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